Les objets, ces mystérieuses armures sous lesquelles nous attend, nocturne et dénudé, le désir, ces pièges de velours, de bronze, de fils d’araignée que nous nous jetons a chaque pas; chasseur et gibier dans les pénombres des forêts, a la fois forêt, braconnier et bûcheron, le bûcheron tué à la racine d’un arbre et couvert de sa propre barbe sentant l’encens, le bien, le cela-n’est-pas-possible ; enfin libres, enfin seuls avec nous-mêmes et avec tout le monde, avançant dans l’obscurité avec les yeux des chats, avec les dents du chacal, avec les cheveux à cernes lyriques, défaits, sous une chemise de veines et d’artères à travers laquelle le sang coule pour la première fois, nous sommes éclairés en nous-mêmes par les grands projecteurs du premier geste, disant ce qui devait être dit, faisant ce qui devait être fait, conduits parmi les lianes, les papillons et les chauve-souris, comme le blanc et le noir sur un échiquier; personne ne songe à interdire les cases noires et le fou, – les fourmis disparaissent, le roi et la reine disparaissent, les réveille-matins disparaissant à leur tour, nous introduisons de nouveau la canne, la bicyclette à roues inégales, la pendule, le dirigeable, gardant le siphon, le récepteur téléphonique, la douche, l’ascenseur, la seringue, les appareils automatiques où a l’introduction chiffre apparaît du chocolat; les objets, cette catalepsie, ce spasme fixe, ce « fleuve dans lequel on ne se baigne qu’une seule fois » et dans lequel nous nous plongeons comme dans une photo ; les objets, ces pierres philosophales qui découvrent, transforment, hallucinent, communiquent notre hurlement, ces hurlements de pierre qui brisent les flots, par lesquels passent l’arc-en-ciel, des images vivantes, des images de l’image, je rêve à vous parce que je rêve a moi, je vise hypnotiquement le diamant que vous contenez, avant de m’endormir, avant de vous endormir, nous traversons réciproquement comme deux fantômes dans une salle de marbre avec, aux murs, les portraits des ancêtres grandeur nature, le portrait d’un chevalier médiéval se trouvant a côté du portrait d’une chaise, regardant les deux fossiles de fantômes sur les murs de ce musée spectral et s’il est vrai que nous sommes des ombres alors les hommes et les objets qui nous environnent ici ne sont que les os des ombres, les ombres des ombres, parce qu’ici on ne meurt pas, ici la disparition, l’éloignement ou la putréfaction d’une femme ne tue pas le désir auquel elle se rattache comme la flamme d’une bougie au jeu d’ombre et de lumière qu’elle entretient autour d’elle, quand, tremblant entre les draps et transfiguré par la fièvre, on murmure son nom adoré ; non, tant que le désir persiste on ne meurt pas : les hommes qui vivent meurent plus facilement, les hommes que je rencontre dans la rue faisant des gestes accoutumés, souriants ou fronçant les sourcils sur les terrasses des cafés ou dans le métro, pressés, portant des chapeaux, portant des oreilles. Ces hommes sont depuis longtemps morts bien qu’ils ne soient pas même nés, – mon père je l’ai tué avant sa mort, ma mère n’est pas morte encore quoiqu’on me le dise et si un cerveau à bretelles et un cœur de farine me font remarquer que j’ignore la limite qui sépare le désir de la réalité, je leur rappellerai le rêve, je leur rappellerai la réalité de demain du désir ou, peut-être, je les injurierai et, continuant à regarder les portraits aux murs, je confondrai avec plaisir la chaise avec un chevalier médiéval, le soulier avec la pâle marquise qui le chausse, je passerai dans la salle suivante bras dessus, bras dessous avec l’objet, entre les ombres et leurs fossiles, entre les miroirs qui ne me réfléchissent pas, entre les regards qui ne m’espionnent pas, qui ne me dissèquent pas, ne surprenant rien et rien ne pouvant me surprendre dans un monde de surprise, dans un monde d’apparitions inattendues, que j’attends tout en ne les attendant pas, elles se montrent avant d’être attendues, précisément à l’instant où les lèvres s’humectent pour recevoir le baiser ou bien les dents ou bien le vent ou bien le cou blanc qui se découvre à la lune, s’offrant à la respiration froide (comme deux stylets) du vampire. […]
(Ghérasim Luca, Le Vampire passif, éditions José Corti, 2001, pp. 41-44)
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Gli oggetti, queste misteriose armature sotto le quali sta in attesa, notturno e denudato, il desiderio, queste trappole di velluto, di bronzo, tele di ragno che ci gettiamo addosso ad ogni passo; cacciatore e selvaggina nella penombra delle foreste, a un tempo foresta, bracconiere e taglialegna, il taglialegna ucciso sotto un albero e coperto dalla sua barba che sa d’incenso, di bontà, di questo-non-è-possibile; liberi infine, soli infine con noi stessi e con tutti, avanzando nell’oscurità con occhi di gatto, con denti di sciacallo, con capelli dai contorni lirici, disfatti, sotto una camicia di vene e di arterie attraverso la quale il sangue scorre per la prima volta, siamo illuminati all’interno dai grandi proiettori del primo gesto, dicendo quel che doveva essere detto, facendo quel che doveva essere fatto, condotti tra le liane, le farfalle e i pipistrelli, come il bianco e il nero su una scacchiera; nessuno si sogna di vietare le caselle nere e l’alfiere, – le formiche spariscono, il re e la regina spariscono, anche le sveglie spariscono, introduciamo di nuovo la canna, la bicicletta a ruote disuguali, l’orologio, il dirigibile, tenendo il sifone, il ricevitore telefonico, la doccia, l’ascensore, la siringa, gli apparecchi automatici dove introducendo una moneta compare del cioccolato; gli oggetti, questa catalessi, questa fissità dello spasmo, questo «fiume dove ci si bagna una sola volta» e nel quale c’immergiamo come in una fotografia ; gli oggetti, queste pietre filosofali che liberano, trasformano, allucinano, comunicano il nostro urlo, queste urla di pietra che infrangono i flutti, attraverso cui passano l’arcobaleno, immagini viventi, copia dell’immagine, sogno di voi perché sogno me stesso, fisso ipnoticamente il diamante che contenete, prima di addormentarmi, prima di addormentarvi, ci attraversiamo reciprocamente come due fantasmi in una sala di marmi con, ai muri, i ritratti degli antenati a grandezza naturale, il ritratto di un cavaliere medievale che si trova accanto al ritratto di una sedia, guardando questi due fossili di fantasmi sui muri di questo museo spettrale e se è vero che siamo delle ombre allora gli uomini e gli oggetti che ci circondano non sono qui che le ossa delle ombre, le ombre delle ombre, perché qui non si muore, qui la scomparsa, l’allontanamento o la putrefazione di una donna non uccide il desiderio al quale si ricollega come la fiamma di una candela al gioco d’ombra e di luce che intrattiene intorno a sé, quando, tremanti tra le lenzuola e trasfigurati dalla febbre, si mormora il suo nome adorato ; no, finché il desiderio perdura non si muore: gli uomini che vivono muoiono più facilmente, gli uomini che incontro per strada che fanno i gesti soliti, sorridenti o aggrottando le sopracciglia sulle terrazze dei caffè o nella metropolitana, frettolosi, che indossano cappelli, o orecchi. Questi uomini sono morti da tempo benché non siano neanche nati, – mio padre l’ho ucciso prima della sua morte, mia madre non è ancora morta sebbene mi dicano il contrario e se un cervello con le bretelle e un cuore di farina mi fanno notare che ignoro il limite che separa il desiderio dalla realtà, ricorderò loro il sogno, ricorderò loro la realtà futura del desiderio o, forse, li ingiurierò e, continuando a guardare i ritratti appesi ai muri, confonderò con piacere la sedia con un cavaliere medievale, la scarpa con la pallida marchesa che la calza, passerò nella sala successiva sottobraccio con l’oggetto, tra le ombre e i loro fossili, tra gli specchi che non mi riflettono, tra gli sguardi che non mi spiano, non mi sezionano, non sorprendendo niente e niente potendo sorprendermi in un mondo di sorpresa, in un mondo di apparizioni inattese, che aspetto senza aspettarle, si mostrano prima di essere aspettate, precisamente nell’istante in cui le labbra si inumidiscono per ricevere il bacio o i denti o il vento o il collo bianco che si scopre alla luna, offrendosi alla respirazione fredda (come due stiletti) del vampiro. […]
(Tr. alfredo riponi)
Restituire in un’altra lingua non soltanto il libro-oggetto surrealista con le immagini inserite nel testo; ma la scrittura poetico-filosofica di Ghérasim Luca.. [N d T]
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Publié en 1945 aux éditions de l’Oubli à Bucarest, Le Vampire passif fut remarqué par le milieu surréaliste français notamment parce qu’un extrait figura dans la revue dirigée par Georges Henein « La part du sable » en 1947 en compagnie de textes de Fardoulis-Lagrange, Jabès, Michaux. Les premiers textes de Ghérasim Luca et particulièrement le Vampire Passif, comme le souligne Dominique Carlat, cherchent à prolonger l’ébranlement suscité par les textes surréalistes s’interrogeant sur la fragilité de la frontière établie entre le « hasard objectif », et le délire d’interprétation avec un humour corrosif. Le Vampire passif se présente comme un objet littéralement impossible à définir : mêlant exposé théorique et prose poétique haletante, confessions personnelles et visées scientifiques, clichés photographiques d’Objets Objectivement Offerts – catégorie nouvelle créée par Luca qui s’engouffre dans l’espace ouvert par Breton pour, grâce à ces OOO capter le hasard dans sa forme dynamique et dramatique parce qu’ils sont capables d’objectiver l’ambivalence des pulsions, nos tendances d’amour-haine trouvant dans le monde des objets extérieurs une équivalence presque continuelle.
(http://www.jose-corti.fr/titresfrancais/vampire-passif-luca.html)
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